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camarades absent ; car ils savent tous que c’est le moyen de passer pour lâche ou menteur. Lorsqu’un d’entre eux en accuse un autre, c’est ouvertement, franchement & non seulement en sa présence, mais en celle de tous leurs camarades, afin d’avoir dans les témoins de ses discours des garans de sa bonne foi. Quand il est question de querelles personnelles, elles s’accommodent presque toujours par médiateurs, sans importuner monsieur ni Madame ; mais quand il s’agit de l’intérêt sacré du maître, l’affaire ne sauroit demeurer secrete ; il faut que le coupable s’accuse ou qu’il ait un accusateur. Ces petits plaidoyers sont tres rares & ne se font qu’à table dans les tournées que Julie va faire journellement au dîner ou au souper de ses gens & que M. de Wolmar appelle en riant ses grands jours. Alors, après avoir écouté paisiblement la plainte & la réponse, si l’affaire intéresse son service, elle remercie l’accusateur de son zele. Je sais, lui dit-elle, que vos aimez votre camarade ; vous m’en avez toujours dit du bien & je vous loue de ce que l’amour du devoir & de la justice l’emporte en vous sur les affections particulieres ; c’est ainsi qu’en use un serviteur fidele & un honnête homme. Ensuite, si l’accusé n’a pas tort, elle ajoute toujours quelque éloge à sa justification. Mais s’il est réellement coupable, elle lui épargne devant les autres une partie de la honte. Elle suppose qu’il a quelque chose à dire pour sa défense qu’il ne veut pas déclarer devant tout le monde ; elle lui assigne une heure pour l’entendre en particulier & c’est là qu’elle ou son mari lui parlent comme il convient. Ce qu’il y a de singulier en ceci, c’est que le plus sévere des deux n’est pas le plus redouté & qu’on craint