Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/105

Cette page n’a pas encore été corrigée

pour vous en votre absence que si vous les eussiez entendus. On a dit qu’il n’y avoit point de héros pour son valet de chambre. Cela peut être ; mais l’homme juste a l’estime de son valet ; ce qui montre assez que l’héroisme n’a qu’une vaine apparence & qu’il n’y a rien de solide que la vertu. C’est sur-tout dans cette maison qu’on reconnaît la force de son empire dans le suffrage des domestiques ; suffrage d’autant plus sûr, qu’il ne consiste point en de vains éloges, mais dans l’expression naturelle de ce qu’ils sentent. N’entendant jamais rien ici qui leur fasse croire que les autres maîtres ne ressemblent pas aux leurs, ils ne les louent point des vertus qu’ils estiment communes à tous ; mais ils louent Dieu dans leur simplicité d’avoir mis des riches sur la terre pour le bonheur de ceux qui les servent & pour le soulagement des pauvres.

La servitude est si peu naturelle à l’homme, qu’elle ne sauroit exister sans quelque mécontentement. Cependant on respecte le maître & l’on n’en dit rien. Que s’il échappe quelques murmures contre la maîtresse, ils valent mieux que des éloges. Nul ne se plaint qu’elle manque pour lui de bienveillance, mais qu’elle en accorde autant aux autres ; nul ne peut souffrir qu’elle fasse comparaison de son zele avec celui de ses camarades, & chacun voudroit être le premier en faveur comme il croit l’être en attachement : c’est là leur unique plainte & leur plus grande injustice.

À la subordination des inférieurs se joint la concorde entre les égaux ; & cette partie de l’administration domestique n’est pas la moins difficile. Dans les concurrences de jalousie &