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l’Evangile ne prescrit pas & qui sont contraires à l’esprit du christianisme. Mais qu’on me dise où de jeunes personnes à marier auront occasion de prendre du goût l’une pour l’autre & de se voir avec plus de décence & de circonspection que dans une assemblée où les yeux du public, incessamment tournés sur elles, les forcent à s’observer avec le plus grand soin. En quoi Dieu est-il offensé par un exercice agréable & salutaire, convenable à la vivacité de la jeunesse, qui consiste à se présenter l’un à l’autre avec grâce & bienséance & auquel le spectateur impose une gravité dont personne n’oseroit sortir ? Peut-on imaginer un moyen plus honnête de ne tromper personne, au moins quant à la figure & de se montrer avec les agréments & les défauts qu’on peut avoir aux gens qui ont intérêt de nous bien connoître avant de s’obliger à nous aimer ? Le devoir de se chérir réciproquement n’emporte-t-il pas celui de se plaire & n’est-ce pas un soin digne de deux personnes vertueuses & chrétiennes qui songent à s’unir, de préparer ainsi leurs cœurs à l’amour mutuel que Dieu leur impose ?

Qu’arrive-t-il dans ces lieux où regne une éternelle contrainte, où l’on punit comme un crime la plus innocente gaieté, où les jeunes gens des deux sexes n’osent jamais s’assembler en public & où l’indiscrete sévérité d’un pasteur ne sait prêcher au nom de Dieu qu’une gêne servile & la tristesse & l’ennui ? On élude une tyrannie insupportable que la nature & la raison désavouent. Aux plaisirs permis dont on prive une jeunesse enjouée & folâtre, elle en substitue de plus dangereux. Les tête-à-tête adroitement concertés