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à donner sa fille, son enfant unique, à un petit bourgeois sans fortune ! L’esperes-tu ?… Qu’esperes-tu donc ? que veux-tu ?…Pauvre, pauvre cousine !… Ne crains rien toutefois de ma part ; ton secret sera gardé par ton amie. Bien des gens trouveroient plus honnête de le révéler : peut-être auroient-ils raison. Pour moi, qui ne suis pas une grande raisonneuse, je ne veux point d’une honnêteté qui trahit l’amitié, la foi, la confiance ; j’imagine que chaque relation, chaque âge a ses maximes, ses devoirs, ses vertus ; que ce qui seroit prudence à d’autres, à moi seroit perfidie, & qu’au lieu de nous rendre sages, on nous rend méchans en confondant tout cela. Si ton amour est foible, nous le vaincrons ; s’il est extrême, c’est l’exposer à des tragédies que de l’attaquer par des moyens violents ; & il ne convient à l’amitié de tenter que ceux dont elle peut répondre. Mais, en revanche, tu n’as qu’à marcher droit quand tu seras sous ma garde : tu verras, tu verras ce que c’est qu’une Duégne de dix-huit ans.

Je ne suis pas, comme tu sais, loin de toi pour mon plaisir ; & le printemps n’est pas si agréable en campagne que tu penses ; on y souffre à la fois le froid & le chaud ; on n’a point d’ombre à la promenade, & il faut se chauffer dans la maison. Mon pere, de son côté, ne laisse pas, au milieu de ses bâtiments, de s’appercevoir qu’on a la gazette ici plus tard qu’à la ville. Ainsi tout le monde ne demande pas mieux que d’y retourner, & tu m’embrasseras, j’espere, dans quatre ou cinq jours. Mais ce qui m’inquiete est que quatre ou cinq jours font je ne sais combien d’heures, dont