Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/65

Cette page n’a pas encore été corrigée

De grâce, quittons ces jeux qui peuvent avoir des suites funestes. Non, il n’y en a pas un qui n’ait son danger, jusqu’au plus puéril de tous. Je tremble toujours d’y rencontrer votre main, & je ne sais comment il arrive que je la rencontre toujours. À peine se pose-t-elle sur la mienne, qu’un tressaillement me saisit ; le jeu me donne la fievre ou plutôt le délire : je ne vois, je ne sens plus rien ; & dans ce moment d’aliénation, que dire, que faire, où me cacher, comment répondre de moi ?

Durant nos lectures, c’est un autre inconvénient. Si je vous vois un instant sans votre mere ou sans votre cousine, vous changez tout à coup de maintien ; vous prenez un air si sérieux, si froid, si glacé, que le respect & la crainte de vous déplaire m’ôtent la présence d’esprit & le jugement, & j’ai peine à bégayer en tremblant quelques mots d’une leçon que toute votre sagacité vous fait suivre à peine. Ainsi, l’inégalité que vous affectez tourne à la fois au préjudice de tous deux : vous me désolez & ne vous instruisez point, sans que je puisse concevoir quel motif fait ainsi changer d’humeur une personne si raisonnable. J’ose vous le demander, comment pouvez-vous être si folâtre en public, & si grave dans le tête-à-tête ? Je pensois que ce devoit être tout le contraire, & qu’il faloit composer son maintien à proportion du nombre des spectateurs. Au lieu de cela, je vous vois, toujours avec une égale perplexité de ma part, le ton de cérémonie en particulier, & le ton familier devant tout le monde. Daignez être plus égale, peut-être seroi-je moins tourmenté.