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Tels sont les préceptes généraux que le bon sens dicte à tous les hommes, & que la religion autorise [1]. Revenons à nous. Vous avez daigné m’ouvrir votre cœur ; je connois vos peines, vous ne souffrez pas moins que moi ; vos maux sont sans remede ainsi que les miens, & d’autant plus sans remede, que les loix de l’honneur sont plus immuables que celles de la fortune. Vous les supportez, je l’avoue, avec fermeté. La vertu vous soutient ; un pas de plus, elle vous dégage. Vous me pressez de souffrir ; milord, j’ose vous presser determiner vos souffrances, & je vous laisse à juger qui de nous est le plus cher à l’autre.

Que tardons-nous à faire un pas qu’il faut toujours faire ? Attendrons-nous que la vieillesse, & les ans nous attachent bassement à la vie apres nous en avoir ôté les charmes, & que nous traînions avec effort, ignominie, & douleur, un corps infirme, & cassé ? Nous sommes dans l’âge où la vigueur de

  1. L’étrange lettre pour la délibération dont il s’agit ! Raisonne-t-on si paisiblement sur une question pareille, quand on l’examine pour soi ? La lettre est-elle fabriquée, ou l’Auteur ne veut-il qu’être réfuté ? Ce qui peut tenir en doute, c’est l’exemple de Robeck qu’il cite, & qui semble autoriser le sien. Robeck délibéra si posément qu’il eut la patience de faire un livre, un gros livre, bien long, bien pesant, bien froid, & quand il eût établi, selon lui, qu’il étoit permis de se donner la mort, il se la donna avec la même tranquillité. Défions-nous des préjugés de siecle, & de nation. Quand ce n’est pas la mode de se teur, on n’imagine que des enragés qui se tuent ; tous les actes de courage sont autant de chimeres pour les ames foibles ; chacun ne juge des autres que par soi. Cependant combien n’avons-nous pas d’exemples attestés d’hommes sages en tout autre point, qui sans remords, sans fureur, sans désespoir, renoncent à la vie uniquement par-ce qu’elle leur est à charge, & meurent plus tranquillement qu’ils n’ont vécu ?