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tems que l’illusion cesse ; il est tems de revenir d’un trop long égarement. Mon ami, ce retour ne vous sera pas difficile. Vous avez votre guide en vous-même ; vous l’avez pu négliger, mais vous ne l’avez jamais rebuté. Votre ame est saine, elle s’attache à tout ce qui est bien ; et si quelquefois il lui échappe, c’est qu’elle n’a pas usé de toute sa force pour s’y tenir. Rentrez au fond de votre conscience, & cherchez si vous n’y retrouveriez point quelque principe oublié qui serviroit à mieux ordonner toutes vos actions, à les lier plus solidement entre elles, & avec un objet commun. Ce n’est pas assez, croyez-moi, que la vertu soit la base de votre conduite, si vous n’établissez cette base même sur un fondement inébranlable. Souvenez-vous de ces Indiens qui font porter le monde sur un grand éléphant, & puis l’éléphant sur une tortue ; & quand on leur demande sur quoi porte la tortue, ils ne savent plus que dire.

Je vous conjure de faire quelque attention aux discours de votre amie, & de choisir pour aller au bonheur une route plus sûre que celle qui nous a si long-tems égarés. Je ne cesserai de demander au ciel, pour vous, & pour moi, cette félicité pure, & ne serai contente qu’apres l’avoir obtenue pour tous les deux. Ah ! si jamais nos cœurs se rappellent malgré nous les erreurs de notre jeunesse, faisons au moins que le retour qu’elles auront produit en autorise le souvenir, & que nous puissions dire avec cet ancien : "Hélas ! nous périssions si nous n’eussions péri !"

Ici finissent les sermons de la prêcheuse. Elle aura désormais assez à faire à se prêcher elle-même. Adieu, mon aimable