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Mon ami, le Ciel éclaire la bonne intention des peres, & récompense la docilité des enfants. À Dieu ne plaise que je veuille insulter à vos déplaisirs. Le seul désir de vous rassurer pleinement sur mon sort me fait ajouter ce que je vais vous dire. Quand avec les sentimens que j’eus ci-devant pour vous, & les connoissances que j’ai maintenant, je serois libre encore, & maîtresse de me choisir un mari, je prends à témoin de ma sincérité ce Dieu qui daigne m’éclairer, & qui lit au fond de mon cœur, ce n’est pas vous que je choisirois, c’est M. de Wolmar.

Il importe peut-être à votre entiere guérison que j’acheve de vous dire ce qui me reste sur le cœur. M. de Wolmar est plus âgé que moi. Si pour me punir de mes fautes, le Ciel m’ôtoit le digne époux que j’ai si peu mérité, ma ferme résolution est de n’en prendre jamais un autre. S’il n’a pas eu le bonheur de trouver une fille chaste, il laissera du moins une chaste veuve. Vous me connoissez trop bien pour croire qu’apres vous avoir fait cette déclaration je sois femme, à m’en rétracter jamais [1].

Ce que j’ai dit pour lever vos doutes peut servir encore

  1. Nos situations diverses déterminent, & changent malgré nous les affections de nos cœurs : nous serons vicieux, & méchans tant que nous aurons intérêt à l’être, & malheureusement les chaines dont nous sommes chargés multiplient cet intérêt autour de nous. L’effort de corriger le désordre de nos desirs est presque toujours vain, & rarement il est vrai : ce qu’il faut changer c’est moins nos desirs que les situations qui les produisent. Si nous voulons devenir bons, ôtons les rapports qui nous empêchent de l’être, il n’y a point d’autre moyen. Je ne voudrois pas pour tout au monde avoir droit à la succession d’autrui, sur-tout de personnes qui devroient m’être chéres ; car que fais je quel horrible vœu l’indigence pourroit m’arracher ? Sur ce prin-