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de la vie [1], & le nécessaire chez ses voisins indigents. L’ordre qu’il a mis dans sa maison est l’image de celui qui regne au fond de son ame, & semble imiter dans un petit ménage l’ordre établi dans le gouvernement du monde. On n’y voit ni cette inflexible régularité qui donne plus de gêne que d’avantage, & n’est supportable qu’à celui qui l’impose, ni cette confusion mal entendue qui pour trop avoir ô tel’usage de tout. On y reconnaît toujours la main du maître, & l’on ne la sent jamais ; il a si bien ordonné le premier arrangement qu’à présent tout va tout seul, & qu’on jouit à la fois de la regle, & de la liberté.

Voilà, mon bon ami, une idée abrégée, mais fidele, du caractere de M. de Wolmar, autant que je l’ai pu connoître

  1. Il n’y a pas d’association plus commune que celle du faite, & de la lézine. On prend sur la nature, sur les vrais plaisirs, sur le besoin même, tout ce qu’on donne à l’opinion. Tel homme orne son palais aux dépens de sa cuisine ; tel autre aime mieux une belle vaisselle qu’un bon diné ; tel autre fait un repas d’appareil, & meurt de faim tout le reste de l’année. Quand je vois un buffet de vermeil, je m’attends à du vin qui m’empoisonne. Combien de fois dans des maisons de campagne en respirant le frais au matin l’aspect d’un beau jardin vous tente ? On se leve de bonne heure, on se promene, en gagne de l’appétit ; on veut dejeuner. L’Officier est sorti, ou les provisions manquent, ou Madame n’a pas donné ses ordres, ou l’on vous fait ennuyer d’attendre. Quelquefois on vous prévient, on vient magnifiquement vous offrir de tout, à condition que vous n’accepterez rien. Il faut rester à jeun jusqu’à trois heures, ou déjeuner avec des tulipes. Je me sou viens de m’être promené dans un tres-beau parc dont on disoit que la Maitresse aimoit beaucoup le café, & n’en prenoit jamais, attendu qu’il coûtoit fois la tasse ; mais elle donnoit de grand cœur mille écus a son jardinier. Je crois que j’aimerois mieux avoir des charmilles moins bien taillées, & prendre du café plus souvent.