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ces deux objets doit empêcher l’autre de paraître ; il n’y a que le délire de l’amour qui puisse les accorder ; & quand sa main ardente ose dévoiler celui que la pudeur couvre, l’ivresse & le trouble de tes yeux dit alors que tu l’oublies, & non que tu l’exposes.

Voilà la critique qu’une attention continuelle m’a fait faire de ton portrait. J’ai conçu là-dessus le dessein de le reformer selon mes idées. Je les ai communiquées à un peintre habile ; & sur ce qu’il a déjà fait, j’espere te voir bientôt plus semblable à toi-même. De peur de gâter le portrait, nous essayons les changemens sur une copie que je lui en ai fait faire & il ne les transporte sur l’original que quand nous sommes bien sûrs de leur effet. Quoique je dessine assez médiocrement, cet artiste ne peut se lasser d’admirer la subtilité de mes observations ; il ne comprend pas combien celui qui me les dicte est un maître plus savant que lui. Je lui parois aussi quelquefois fort bizarre : il dit que je suis le premier amant qui s’avise de cacher des objets qu’on n’expose jamais assez au gré des autres ; & quand je lui réponds que c’est pour mieux te voir tout entiere que je t’habille avec tant de soin, il me regarde comme un fou. Ah ! que ton portrait seroit bien plus touchant, si je pouvois inventer des moyens d’y montrer ton ame avec ton visage & d’y peindre à la fois ta modestie & tes attraits ! Je te jure, ma Julie, qu’ils gagneront beaucoup à cette réforme. On n’y voyoit que ceux qu’avoit supposés le peintre & le spectateur ému les supposera tels qu’ils sont. Je ne sais quel enchantement secret regne dans ta personne ; mais tout ce