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yeux & tes traits ; il n’a point rendu ce doux sentiment qui les vivifie, & sans lequel, tout charmans qu’ils sont, ils ne seroient rien. C’est dans ton cœur, ma Julie, qu’est le fard de ton visage & celui-là ne s’imite point. Ceci tient, je l’avoue, à l’insuffisance de l’art, mais c’est au moins la faute de l’artiste de n’avoir pas été exact en tout ce qui dépendoit de lui. Par exemple, il a placé la racine des cheveux trop loin des tempes, ce qui donne au front un contour moins agréable & moins de finesse au regard. Il a oublié les rameaux de pourpre que font en cet endroit deux ou trois petites veines sous la peau, à peu près comme dans ces fleurs d’iris que nous considérions un jour au jardin de Clarens. Le coloris des joues est trop près des yeux, & ne se fond pas délicieusement en couleur de rose vers le bas du visage comme sur le modele. On diroit que c’est du rouge artificiel plaqué comme le carmin des femmes de ce pays. Ce défaut n’est pas peu de chose, car il te rend l’œil moins doux & l’air plus hardi.

Mais, dis-moi, qu’a-t-il fait de ces nichées d’amours qui se cachent aux deux coins de ta bouche, & que dans mes jours fortunés j’osois réchauffer quelquefois de la mienne ? Il n’a point donné leur grâce à ces coins, il n’a pas mis à cette bouche ce tour agréable & sérieux qui change tout-à-coup à ton moindre sourire, & porte au cœur je ne sais quel enchantement inconnu, je ne sais quel soudain ravissement que rien ne peut exprimer. Il est vrai que ton portrait ne peut passer du sérieux au sourire. Ah ! c’est précisément de quoi je me plains : pour pouvoir exprimer