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insupportables de tous, parce que, avec beaucoup d’esprit & de finesse, ils n’ont ni sentiments, ni tableaux, ni situations, ni chaleur, ni intérêt, ni rien de tout ce qui peut donner prise à la musique, flatter le cœur & nourrir l’illusion. Dans ces prétendus ballets l’action se passe toujours en chant, la danse interrompt toujours l’action, ou ne s’y trouve que par occasion & n’imite rien. Tout ce qu’il arrive, c’est que ces ballets ayant encore moins d’intérêt que les tragédies, cette interruption y est moins remarquée ; s’ils étoient moins froids, on en seroit plus choqué : mais un défaut couvre l’autre & l’art des auteurs pour empêcher que la danse ne lasse, c’est de faire en sorte que la piece ennuie.

Ceci me mene insensiblement à des recherches sur la véritable constitution du drame lyrique, trop étendues pour entrer dans cette lettre & qui me jetteroient loin de mon sujet : j’en ai fait une petite dissertation à part que vous trouverez ci-jointe & dont vous pourrez causer avec Regianino. Il me reste à vous dire sur l’Opéra françois que le plus grand défaut que j’y crois remarquer est un faux goût de magnificence, par lequel on a voulu mettre en représentation le merveilleux, qui, n’étant fait que pour être imaginé, est aussi bien placé dans un poeme épique que ridiculement sur un théâtre. J’aurois eu peine à croire, si je ne l’avois vu, qu’il se trouvât des artistes assez imbéciles pour vouloir imiter le char du soleil & des spectateurs assez enfans pour aller voir cette imitation. La Bruyere ne concevoit pas comment un spectacle aussi superbe que l’Opéra pouvoit l’ennuyer à si grands fraix. Je le conçois bien, moi, qui