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malheureux qu’elles ne connoissent pas, pour servir le malheureux qu’elles connoissent : mais comment connoître tout le monde dans un si grand pays, & que peut faire de plus la bonté d’ame séparée de la véritable vertu, dont le plus sublime effort n’est pas tant de faire le bien que de ne jamais mal faire ? À cela près, il est certain qu’elles ont du penchant au bien, qu’elles en font beaucoup, qu’elles le font de bon cœur, que ce sont elles seules qui conservent dans Paris le peu d’humanité qu’on y voit régner encore, & que sans elle son verroit les hommes avides & insatiables s’y dévorer comme des loups.

Voilà ce que je n’aurois point appris, si je m’en étois tenu aux peintures des faiseurs de Romans & de Comédies, lesquels voyent plutôt dans les femmes des ridicules qu’ils partagent que les bonnes qualités qu’ils n’ont pas, ou qui peignent des chefs-d’œuvre de vertu qu’elles se dispensent d’imiter en les traitant de chimeres, au lieu de les encourager au bien en louant celui qu’elles font réellement. Les Romans sont peut-être la derniere instruction qu’il reste à donner à un peuple assez corrompu pour que tout autre lui soit inutile ; je voudrois qu’alors la composition de ces sortes de livres ne fût permise qu’à des gens honnêtes mais sensibles, dont le cœur se peignît dans leurs écrits, à des auteurs qui ne fussent pas au-dessus des foiblesses de l’humanité, qui ne montrassent pas tout d’un coup la vertu dans le Ciel hors de la portée des hommes, mais qui la leur fissent aimer en la peignant d’abord moins austere, & puis du sein du vice les y sçussent conduire insensiblement.