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sont les vrais perturbateurs de cet ordre ; ce sont ceux-là qu’il faut décrier ou punir.

Il est donc de la justice universelle que ces abus soient redressés ; il est du devoir de l’homme de s’opposer à la violence, de concourir à l’ordre, & s’il m’étoit possible d’unir ces deux amans en dépit d’un vieillard sans raison, ne doutez pas que je n’achevasse en cela l’ouvrage du Ciel, sans m’embarrasser de l’approbation des hommes.

Vous êtes plus heureuse, aimable Claire ; vous avez un pere qui ne prétend point savoir mieux que vous en quoi consiste votre bonheur. Ce n’est, peut-être, ni par de grandes vues de sagesse, ni par une tendresse excessive qu’il vous rend ainsi maîtresse de votre sort ; mais qu’importe la cause, si l’effet est le même, & si, dans la liberté qu’il vous laisse, l’indolence lui tient lieu de raison ? Loin d’abuser de cette liberté, le choix que vous avez fait à vingt ans auroit l’approbation du plus sage pere. Votre cœur, absorbé par une amitié qui n’eut jamais d’égale, a gardé peu de place aux feux de l’amour. Vous leur substituez tout ce qui peut y suppléer dans le mariage : moins amante qu’amie, si vous n’êtes la plus tendre épouse vous serez la plus vertueuse, & cette union qu’a formée la sagesse doit croître avec l’âge & durer autant qu’elle. L’impulsion du cœur est plus aveugle, mais elle est plus invincible : c’est le moyen de se perdre que de se mettre dans la nécessité de lui résister. Heureux ceux que l’amour assortit comme auroit fait la raison, & qui n’ont point d’obstacle à vaincre & de préjugés à combattre. Tels seroient nos deux amans sans l’injuste résistance d’un pere