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pouvoient faire. Enfin, l’heure est venue & j’ai vu entrer ton ami. Il avoit l’air inquiet, & m’a demandé précipitamment de tes nouvelles ; car dès le lendemain de ta scene avec ton pere, il avoit sçu que tu étois malade, & Milord Edouard lui avoit confirmé hier que tu n’étois pas sortie de ton lit. Pour éviter là-dessus des détails, je lui ai dit aussi-tôt que je t’avois laissée mieux hier au soir, & j’ai ajouté qu’il en apprendroit dans un moment davantage par le retour de Hanz que je venois de t’envoyer. Ma précaution n’a servi de rien, il m’a fait cent questions sur ton état, & comme elles m’éloignoient de mon objet, j’ai fait des réponses succinctes, & me suis mise à le questionner à mon tour.

J’ai commencé par sonder la situation de son esprit. Je l’ai trouvé grave, méthodique, & prêt à peser le sentiment au poids de la raison. Grâce au Ciel, ai-je dit en moi-même, voilà mon sage bien préparé. Il ne s’agit plus que de le mettre à l’épreuve. Quoique l’usage ordinaire soit d’annoncer par degrés des tristes nouvelles, la connoissance que j’ai de son imagination fougueuse, qui sur un mot porte tout à l’extrême, m’a déterminée à suivre une route contraire, & j’ai mieux aimé l’accabler d’abord pour lui ménager des adoucissemens, que de multiplier inutilement ses douleurs & les lui donner mille fois pour une. Prenant donc un ton plus sérieux & le regardant fixement : mon ami, lui ai-je dit, connoissez-vous les bornes du courage & de la vertu dans une ame forte, & croyez-vous que renoncer à ce qu’on aime soit un effort au-dessus de l’humanité ? À l’instant il s’est levé comme un furieux, puis frappant des mains & les portant à