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elle n’en seroit pas moins honteuse. Mais il est faux qu’à s’en abstenir par vertu l’on se fasse mépriser. L’homme droit dont toute la vie est sans tache & qui ne donna jamais aucun signe de lâcheté, refusera de souiller sa main d’un homicide & n’en sera que plus honoré. Toujours prêt à servir la patrie, à protéger le foible, à remplir les devoirs les plus dangereux, & à défendre en toute rencontre juste & honnête, ce qui lui est cher au prix de son sang, il m & dans ses démarches cette inébranlable fermeté qu’on n’a point sans le vrai courage. Dans la sécurité de sa conscience, il marche la tête levée, il ne fuit ni ne cherche son ennemi. On voit aisément qu’il craint moins de mourir que de mal faire, & qu’il redoute le crime & non le péril. Si les vils préjugés s’élevent un instant contre lui, tous les jours de son honorable vie sont autant de témoins qui les récusent, & dans une conduite si bien liée on juge d’une action sur toutes les autres.

Mais savez-vous ce qui rend cette modération si pénible à un homme ordinaire ? C’est la difficulté de la soutenir dignement. C’est la nécessité de ne commettre ensuite aucune action blâmable. Car si la crainte de mal faire ne le retient pas dans ce dernier cas, pourquoi l’auroit-elle retenu dans l’autre où l’on peut supposer un motif plus naturel ? On voit bien alors que ce refus ne vient pas de vertu, mais de lâcheté, & l’on se moque avec raison d’un scrupule qui ne vient que dans le péril. N’avez-vous point remarqué que les homme si ombrageux & si prompts à provoquer les autres sont, pour la plupart, de très-malhonnêtes gens qui, de peur qu’on n’ose leur montrer ouvertement le mépris qu’on a pour eux, s’efforcent