LETTRE LV. À JULIE.
Ô mourons, ma douce amie ! mourons, la bien aimée de mon cœur ! Que faire désormais d’une jeunesse insipide dont nous avons épuisé toutes les délices ? Explique-moi, si tu le peux, ce que j’ai senti dans cette nuit inconcevable ; donne-moi l’idée d’une vie ainsi passée, ou laisse-m’en quitter une qui n’a plus rien de ce que je viens d’éprouver avec toi. J’avois goûté le plaisir, & croyois concevoir le bonheur. Ah ! je n’avois senti qu’un vain songe & n’imaginois que le bonheur d’un enfant ! Mes sens abusoient mon ame grossiere ; je ne cherchois qu’en eux le bien suprême, & j’ai trouvé que leurs plaisirs épuisés n’étoient que le commencement des miens. Ô chef-d’œuvre unique de la nature ! Divine Julie ! possession délicieuse à laquelle tous les transports du plus ardent amour suffisent à peine ! Non, ce ne sont point ces transports que je regrette le plus : ah ! non, retire, s’il le faut, ces faveurs enivrantes pour lesquelles je donnerois mille vies ; mais rends-moi tout ce qui n’étoit point elles, & les effaçoit mille fois. Rends-moi cette étroite union des ames, que tu m’avois annoncée & que tu m’as si bienfait goûter. Rends-moi cet abattement si doux rempli par les effusions de nos cœurs ; rends-moi ce sommeil enchanteur trouvé sur ton sein ; rends-moi ce réveil plus délicieux encore, & ces soupirs entrecoupés, & ces douces larmes, & ces baisers qu’une