Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/221

Cette page n’a pas encore été corrigée

regards eût contenu ma bouche & purifié mon cœur. L’amour eût couvert mes désirs emportés des charmes de ta modestie ; il l’eût vaincu sans l’outrager, & dans la douce union de nos ames, leur seul délire eût produit les erreurs des sens. J’en appelle à ton propre témoignage. Dis, si dans toutes les fureurs d’une passion sans mesure, je cessai jamais d’en respecter le charmant objet ? Si je reçus le prix que ma flamme avoit mérité : dis si j’abusai de mon bonheur pour outrager ta douce honte ? Si d’une moin timide l’amour ardent & craintif attenta quelquefois à tes charmes : dis si jamais une témérité brutale osa les profaner ? Quand un transport indiscret écarte un instant le voile qui les couvre, l’aimable pudeur n’substitue-t-elle pas aussit-tôt le sien ? Ce vêtement sacré t’abandonneroit-il un moment quand tu n’en aurois point d’autre ? Incorruptible comme ton ame honnête, tous les feux de la mienne l’ont-ils jamais altéré ? Cette union si touchante & si tendre ne suffit-elle pas à notre félicité ? Ne fait-elle pas seule tout le bonheur de nos jours ? Connoissons-nous au monde quelques plaisirs hors ceux que l’amour donne ? En voudrions-nous connoître d’autres ? Conçois-tu comment cet enchantement eût pu se détruire ? Comment j’aurois oublié dans un moment l’honnêteté, notre amour, mon honneur, & l’invincible respect que j’aurois toujours eu pour toi, quand même je ne t’aurois point adorée ! Non, ne le crois pas ; ce n’est point moi qui plus t’offenser. Je n’en ai nul souvenir ; & si j’eusse été coupable un instant, le remords me quitteroit-il jamais ? Non, Julie, un démon jaloux d’un sort trop heureux pour