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dans la Compagnie de M. de Merveilleux, & m’a apporté l’argent de son engagement. M. de Merveilleux n’est plus à Neufchâtel que pour sept ou huit jours, & Claude Anet doit partir dans trois ou quatre pour suivre la recrue : ainsi nous n’avons pas le tems ni le moyen de nous marier, & il me laisse sans aucune ressource. Si par votre crédit ou celui de Monsieur le Baron, vous pouviez nous obtenir au moins un délai de cinq ou six semaines, on tâcheroit, pendant ce tems là, de prendre quelque arrangement pour nous marier ou pour rembourser ce pauvre garçon ; mais je le connois bien ; il ne voudra jamais reprendre l’argent qu’il m’a donné.

Il est venu ce matin un Monsieur bien riche m’en offrir beaucoup davantage ; mais Dieu m’a fait la grace de le refuser. Il a dit qu’il reviendroit demain matin savoir ma derniere résolution. Je lui ai dit de n’en pas prendre la peine & qu’il la savoit déjà. Que Dieu le conduise, il sera reçu demain comme aujourd’hui. Je pourrois bien aussi recourir à la bourse des pauvres, mais on est si méprisé qu’il vaut mieux pâtir : & puis, Claude An & a trop de cœur pour vouloir d’une fille assistée.

Excusez la liberté que je prends, ma bonne Demoiselle ; je n’ai trouvé que vous seule à qui j’ose avouer ma peine, & j’ai le cœur si serré qu’il faut finir cette lettre. Votre bien humble & affectionnée servante à vous servir.

Fanchon Regard.