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ans : & quand enfin l’âge auroit calmé nos premiers feux, l’habitude de penser & sentir ensemble feroit succéder à leurs transports une amitié non moins tendre. Tous les sentimens honnêtes, nourris dans la jeunesse avec ceux de l’amour, en rempliroient un jour le vide immense ; nous pratiquerions au sein de cet heureux peuple, & à son exemple, tous les devoirs de l’humanité : sans cesse nous nous unirions pour bien faire, & nous ne mourrions point sans avoir vécu.

La poste arrive, il faut finir ma lettre, & courir recevoir la vôtre. Que le cœur me bat jusqu’à ce moment ! Hélas ! j’étois heureux dans mes chimeres : mon bonheur fuit avec elles ; que vais-je être en réalité ?

LETTRE XXIV. À JULIE.

Je réponds sur le champ à l’article de votre lettre qui regarde le payement, & n’ai, Dieu merci, nul besoin d’y réfléchir. Voici, ma Julie, quel est mon sentiment sur ce point.

Je distingue dans ce qu’on appelle honneur celui qui se tire de l’opinion publique, & celui qui dérive de l’estime de soi-même. Le premier consiste en vains préjugés plus mobiles qu’une onde agitée ; le second a sa base dans les vérités éternelles de la morale. L’honneur du monde peut être avantageux à la fortune ; mais il ne pénetre point dans