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& bruyantes cascades m’inondaient de leur épais brouillard. Tantôt un torrent éternel ouvroit à mes côtés un abyme dont les yeux n’osoient sonder la profondeur. Quelquefois je me perdois dans l’obscurité d’un bois touffu. Quelquefois en sortant d’un gouffre une agréable prairie réjouissoit tout à coup mes regards. Un mélange étonnant de la nature sauvage & de la nature cultivée, montroit par-tout la main des hommes, où l’on eût cru qu’ils n’avoient jamais pénétré : à côté d’une caverne on trouvoit des maisons ; on voyoit des pampres secs où l’on n’eût cherché que des ronces, des vignes dans des terres éboulées, d’excellens fruits sur des rochers, & des champs dans des précipices.

Ce n’étoit pas seulement le travail des hommes qui rendoit ces pays étranges si bizarrement contrastés : la nature sembloit encore prendre plaisir à s’y mettre en opposition avec elle-même, tant on la trouvoit différente en un même lieu sous divers aspects. Au levant les fleurs du printems, au midi les fruits de l’automne, au nord les glaces de l’hiver : elle réunissoit toutes les saisons dans le même instant, tous les climats dans le même lieu, des terrains contraires sur le même sol, & formoit l’accord inconnu partout ailleurs des productions des plaines & de celles des Alpes. Ajoutez à tout cela les illusions de l’optique, les pointes des mons différemment éclairées, le clair-obscur du soleil & des ombres, & tous les accidens de lumiere qui en résultoient le matin & le soir ; vous aurez quelque idée des scenes continuelles qui ne cesserent d’attirer mon admiration, & qui sembloient m’être offertes en un vrai théâtre ; car la perspective des