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milord Maréchal me parla du sien, de ce qu’il avoit dessein d’y faire pour moi, & que je lui fis la réponse dont j’ai parlé dans ma premiere partie.

Ma seconde perte, plus sensible encore, & bien plus irréparable, fut celle de la meilleure des femmes, & des mères, qui, déjà chargée d’ans, & surchargée d’infirmités, & de misères, quitta cette vallée de larmes pour passer dans le séjour des bons, où l’aimable souvenir du bien que l’on a fait ici-bas en fait l’éternelle récompense. Allez, ame douce, & bienfaisante, auprès des Fénelon, des Bernex, des Catinat, & de ceux qui, dans un état plus humble, ont ouvert, comme eux, leurs cœurs à la charité véritable ; allez goûter le fruit de la vôtre, & préparer à votre élève la place qu’il espere un jour occuper près de vous ! Heureuse, dans vos infortunes, que le Ciel en les terminant vous oit épargné le cruel spectacle des siennes ! Craignant de contrister son cœur par le récit de mes premiers désastres, je ne lui vois point écrit depuis mon arrivée en Suisse ; mais j’écrivis à M. de Conzié pour m’informer d’elle, & ce fut lui qui m’apprit qu’elle avoit cessé de soulager ceux qui souffroient, & de souffrir elle-même. Bientôt je cesserai de souffrir aussi ; mais si je croyois ne la pas revoir dans l’autre vie, ma foible imagination se refuseroit à l’idée du bonheur parfait que je m’y promets.

Ma troisième perte & la dernière, car, depuis lors il ne m’est plus resté d’amis à perdre, fut celle de milord Maréchal. Il ne mourut pas, mais las de servir des ingrats, il quitta Neuchâtel, & depuis lors, je ne l’ai pas revu. Il vit