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c’étoit aussi depuis cette époque que j’avois remarqué du refroidissement dans Thérèse : elle avoit pour moi le même attachement par devoir, mais elle n’en avoit plus par amour. Cela jetoit nécessairement moins d’agrément dans notre commerce, & j’imaginai que, sûre de la continuation de mes soins où qu’elle pût être, elle aimeroit peut-être mieux rester à Paris que d’errer avec moi. Cependant elle avoit marqué tant de douleur à notre séparation, elle avoit exigé de moi des promesses si positives de nous rejoindre, elle en exprimoit si vivement le désir depuis mon départ, tant à M. le prince de Conti qu’à M. de Luxembourg, que, loin d’avoir le courage de lui parler de séparation, j’eus à peine celui d’y penser moi-même ; & après avoir senti dans mon cœur combien il m’étoit impossible de me passer d’elle, je ne songeai plus qu’à la rappeller incessamment. Je lui écrivis donc de partir ; elle vint. À peine y avait-il deux mais que je l’avois quittée ; mais c’étoit, depuis tant d’années, notre premiere séparation. Nous l’avions sentie bien cruellement l’un, & l’autre. Quel saisissement en nous embrassant ! Ô que les larmes de tendresse & de joie sont douces ! Comme mon cœur s’en abreuve ! Pourquoi m’a-t-on fait verser si peu de celles-là !

En arrivant à Motiers, j’avois écrit à milord Keith, Maréchal d’Ecosse, gouverneur de Neuchâtel, pour lui donner avis de ma retraite dans les états de sa Majesté, & pour lui demander sa protection. Il me répondit avec la générosité qu’on lui connoît & que j’attendois de lui. Il m’invita à l’aller voir. J’y fus avec M. Martinet, châtelain du Val-de-Travers,