Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/446

Cette page n’a pas encore été corrigée

seul, & feindre encore de s’intéresser à lui, est le rafinement de la haine, le comble de la barbarie & de la noirceur.

Faire l’aumône par supercherie à quelqu’un malgré lui, n’est pas le servir ; c’est l’avilir ; ce n’est pas un acte de bonté, c’en est un de malignité : surtout si rendant l’aumône mesquine inutile, mais bruyante, & inévitable à celui qui en est l’objet, on fait discrètement ensorte que tout le monde en soit instruit, excepté lui. Cette fourberie est non-seulement cruelle mais basse. En se couvrant du masque de la bienfaisance, elle habille en vertu la méchanceté, & par contre-coup en ingratitude l’indignation de l’honneur outragé.

Le don est, un contrat qui suppose toujours le consentement des deux parties. Un don fait par force ou par ruse, & qui n’est pas accepté, est un vol. Il est tyrannique, il est horrible de vouloir faire en trahison un devoir de la reconnoissance à celui dont on a mérité la haine & dont on est justement méprisé.

L’honneur étant plus précieux & plus important que la vie, & rien ne la rendant plus à charge que la perte de l’honneur, il n’y a aucun cas possible où il soit permis de cacher à celui qu’on diffame, non plus qu’à celui qu’on punit de mort, l’accusation, l’accusateur & ses preuves. L’évidence même est soumise à cette indispensable loi : car si toute la ville avoir vu un homme en assassiner un autre, encore ne seroit-on point mourir l’accusé sans l’interroger & l’entendre. Autrement il n’y auroit plus de sûreté pour personne & la société s’écrouleroit par ses fondemens. Si cette loi sacrée est sans exception, elle est aussi sans abus ;