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LETTRE À Mr. LE MS. DE MIRABEAU.

9 Mars 1768.

Je ne vous répéterai pas, mon illustre ami, les monotones excuses de mes longs silences, d’autant moins que ce seroit toujours à recommencer : car à mesure que mon abatrement & mon découragement augmentent, ma paresse augmente en même raison. Je n’ai plus d’activité pour rien ; plus même pour la promenade, à laquelle d’ailleurs je suis forcé de renoncer depuis quelque temps. Réduit au travail très-fatiguant de me lever ou de me coucher, je trouve cela de trop encore ; du reste je suis nul. Ce n’est pas seulement là le mieux pour ma paresse, c’est le mieux aussi pour ma raison, & comme rien n’use plus vainement la vie que de regimber contre la nécessité, le meilleur parti qui me reste à prendre & que je prends, est de laisser faire sans résistance ceux qui disposent ici de moi.

La proposition d’aller vous voir à Fleury est aussi charmante qu’honnête, & je sens que l’aimable société que j’y trouverois seroit en effet un spécifique excellent contre ma tristesse. Vos expédiens, mon illustre ami, vont mieux à mon cœur que votre morale ; je la trouve trop haute pour moi ; plus stoïque que consolante, & rien ne me paroît moins calmant pour les gens qui souffrent que de leur prouver qu’ils n’ont point de mal. Ce pélérinage me tente beaucoup, &