LETTRE À Mr. L.....d.
À Motiers le 9 Décembre 1764.
Je voudrois, Monsieur, pour contenter votre obligeante fantaisie, pouvoir vous envoyer le profil que vous me demandez ; mais je ne suis pas en lieu à trouver aisément quelqu’un qui le sache tracer. J’espérois me prévaloir pour cela de la visite qu’un graveur hollandois qui va s’établir à Morat, avoit dessein de me faire ; mais il vient de me marquer que des affaires indispensables ne lui en laissoient pas le temps. Si M. Liotard fait un tour jusqu’ici, comme il paroît le désirer, c’est une autre occasion dont je profiterai pour vous complaire, pour peu que l’état cruel où je suis m’en laisse le pouvoir. Si cette seconde occasion me manque, je n’en vois pas de prochaine qui puisse y suppléer. Au reste, je prends peu d’intérêt à ma figure, j’en prends peu même à mes livres ; mais j’en prends beaucoup à l’estime des honnêtes gens dont les cœurs ont lu dans le mien. C’est dans le vis amour du juste & du vrai, c’est dans des penchans bons & honnêtes qui, sans doute, m’attacheroient à vous, que je voudrois vous faire aimer ce qui est véritablement moi, & vous laisser de mon effigie intérieure un souvenir qui vous fût intéressant. Je vous salue, Monsieur, de tout mon cœur.