Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’administration, partagée jusqu’alors entre deux ou trois ministres, en guerre ouverte l’un avec l’autre, & qui, pour se nuire mutuellement, abîmoient le royaume ; le mécontentement général du peuple & de tous les ordres de l’état : l’entêtement d’une femme obstinée, qui, sacrifiant toujours à ses goûts ses lumières, si tant est qu’elle en eût, écartoit presque toujours des emplois les plus capables, pour placer ceux qui lui plaisoient le plus ; tout concouroit à justifier la prévoyance du conseiller & celle du public & la mienne. Cette prévoyance me mit même plusieurs fois en balance, si je ne chercherois pas moi-même un asyle hors du royaume avant les troubles qui sembloient le menacer ; mais rassuré par ma petitesse & mon humeur paisible, je crus que dans la solitude où je voulois vivre, nul orage ne pouvoit pénétrer jusqu’à moi ; fâché seulement que dans cet état de choses, M. de Luxembourg se prêtât à des commissions qui devoient le faire moins bien vouloir dans son gouvernement, j’aurois voulu qu’il s’y ménageât, à tout événement une retraite, s’il arrivoit que la grande machine vint à crouler, comme cela paroissoit à craindre dans l’état actuel des choses, & il me paroît encore à présent indubitable que si toutes les rênes du gouvernement ne fussent enfin tombées dans une seule main, la monarchie françoise seroit maintenant aux abois.

Tandis que mon état empiroit, l’impression de l’Émile se ralentissoit, & fut enfin tout-à-fait suspendue, sans que je pusse en apprendre la raison, sans que Guy daignât plus m’écrire ni me répondre, sans que je pusse avoir des nou-