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se mit avec ses confrères & d’autres gens à y travailler ouvertement, & avec un tel succès, que malgré les forts & fréquens rescrits du roi, malgré tous les ordres du Conseil d’état, je fus enfin forcé de quitter le pays, pour ne pas exposer l’officier du prince à s’y faire assassiner lui-même en me défendant.

Je n’ai qu’un souvenir si confus de toute cette affaire, qu’il m’est impossible de mettre aucun ordre, aucune liaison dans les idées qui m’en reviennent, & que je ne les puis rendre qu’éparses & isolées, comme elles se présentent à mon esprit. Je me rappelle qu’il y avoit eu avec la Classe quelque espèce de négociation, dont Montmollin avoit été l’entremetteur. Il avoit feint qu’on craignoit que par mes écrits je ne troublasse le repos du pays, à qui l’on s’en prendroit de ma liberté d’écrire. Il m’avoit fait entendre, que si je m’engageois à quitter la plume on seroit coulant sur le passé. J’avois déjà pris cet engagement avec moi-même ; je ne balançai point à le prendre avec la Classe, mais conditionnel, & seulement quant aux matières de religion. Il trouva le moyen d’avoir cet écrit à double, sur quelque changement qu’il exigea : la condition ayant été rejetée par la Classe, je redemandai mon écrit : il me rendit un des doubles & garda l’autre, prétextant qu’il l’avoit égaré. Après cela, le peuple ouvertement excité par les ministres, se moqua des rescrits du roi, des ordres du Conseil d’état, & ne connut plus de frein. Je fus prêché en chaire, nommé l’Antechrist, & poursuivi dans la campagne comme un loup-garou. Mon habit d’Arménien servoit de renseignement à la populace ;