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moi-même, celles dont il n’a cessé de m’honorer depuis lors.*

[*Remarquez la persévérance de cette aveugle, & stupide confiance au milieu de tous les traitemens qui devoient les plus m’en désabuser. Elle n’a cessé que depuis mon retour à Paris en 1770.]

Comme mon appartement de Mont-Louis étoit très-petit, & que la situation du donjon étoit charmante, j’y conduisis le prince, qui, pour comble de grâces, voulut que j’eusse l’honneur de faire sa partie aux échecs. Je savois qu’il gagnoit le chevalier de Lorenzy, qui étoit plus fort que moi. Cependant, malgré les signes & les grimaces du chevalier & des assistants, que je ne fis pas semblant de voir, je gagnai les deux parties que nous jouâmes. En finissant je lui dis d’un ton respectueux, mais grave : Monseigneur, j’honore trop Votre Altesse sérénissime pour ne la pas gagner toujours aux échecs. Ce grand prince, plein d’esprit & de lumières, & si digne de n’être pas adulé, sentit en effet, du moins je le pense, qu’il n’y avoit là que moi qui le traitasse en homme, & j’ai tout lieu de croire qu’il m’en a vraiment sçu bon gré.

Quand il m’en auroit sçu mauvais gré, je ne me reprocherois pas de n’avoir voulu le tromper en rien, & je n’ai pas assurément à me reprocher non plus d’avoir mal répondu dans mon cœur à ses bontés, mais bien d’y avoir répondu quelquefois de mauvaise grâce, tandis qu’il mettoit lui-même une grace infinie dans la manière de me les marquer. Peu de jours après il me fit envoyer un panier de gibier, que je reçus comme je devois. À quelque tems de-là il m’en