Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/39

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’aller à la chasse aux poux que j’avois gagnés dans la felouque. Quand à force de changer de linge & de hardes, je me fus enfin rendu n & je procédai à l’ameublement de la chambre que je m’étois choisie. Je me fis un bon matelas de mes vestes & de mes chemises, des draps, de plusieurs serviettes que je cousis, une couverture de ma robe de chambre, un oreiller de mon manteau roulé. Je me fis un siège d’une malle posée à plat & une table de l’autre posée de champ. Je tirai du papier, une écritoire ; j’arrangeai en manière de bibliothèque une douzaine de livres que j’avais. Bref, je m’accommodai si bien, qu’à l’exception des rideaux & des fenêtres j’étois presque aussi commodément à ce lazaret absolument nu qu’à mon jeu de paume de la rue Verdelet. Mes repas étoient servis avec beaucoup de pompe ; deux grenadiers, la bayonnette au bout du fusil, les escortoient ; l’escalier étoit ma salle à manger, le palier me servoit de table, la marche inférieure me servoit de siège ; & quand mon dîner étoit servi, l’on sonnoit en se retirant une clochette, pour m’avertir de me mettre à table.

Entre mes repas, quand je ne lisois ni n’écrivais, ou que je ne travaillois pas à mon ameublement, j’allois me promener dans le cimetière des protestants, qui me servoit de Cour, ou je montois dans une lanterne qui donnoit sur le port & d’où je pouvois voir entrer & sortir les navires. Je passai de la sorte quatorze jours ; & j’aurois passé la vingtaine entière sans m’ennuyer un moment, si M. de Jonville, envoyé de France, à qui je fis parvenir une lettre vinaigrée, parfumée & demi-brûlée, n’eût foit abréger mon tems de huit jours :