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le Rhône & fus m’embarquer à Toulon, tant à cause de la guerre & par raison d’économie, que pour prendre un passeport de M. de Mirepoix, qui commandoit alors en Provence & à qui j’étois adressé. M. de M

[ontaigu] ne pouvant se passer de moi, m’écrivoit lettres sur lettres pour presser mon voyage. Un incident le retarda.

C’étoit le tems de la peste de Messine. La flotte anglaise y avoit mouillé & visita la felouque sur laquelle j’étois.

Cela nous assujettit en arrivant à Gênes, après une longue & pénible traversée, à une quarantaine de vingt-un jours.

On donna le choix aux passagers de la faire à bord ou au lazar & dans lequel on nous prévint que nous ne trouverions que les quatre murs, parce qu’on n’avoit pas encore eu le tems de le meubler. Tous choisirent la felouque. L’insupportable chaleur, l’espace étroit, l’impossibilité d’y marcher, la vermine, me firent préférer le lazar & à tout risque. Je fus conduit dans un grand bâtiment à deux étages absolument nu, où je ne trouvai ni fenêtre, ni table, ni lit, ni chaise, pas même un escabeau pour m’asseoir, ni une botte de paille pour me coucher. On m’apporta mon manteau, mon sac de nuit, mes deux malles ; on ferma sur moi de grosses portes à grosses serrures & je restai là, Maître de me promener à mon aise de chambre en chambre & d’étage en étage, trouvant partout la même solitude & la même nudité.

Tout cela ne me fit pas repentir d’avoir choisi le lazaret plutôt que la felouque ; & comme un nouveau Robinson, je me mis à m’arranger pour mes vingt-un jours comme j’aurois foit pour toute ma vie. J’eus d’abord l’amusement