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pour chaque sujet les amours d’un poète, j’intitulai cet opéra les Muses galantes. Mon premier acte, en genre de musique forte, étoit le Tasse ; le second, en genre de musique tendre, étoit Ovide ; & le troisième, intitulé Anacréon, devoit respirer la gaieté du dithyrambe. Je m’essayai d’abord sur le premier acte & je m’y livrai avec une ardeur qui, pour la premiere fois, me fit goûter les délices de la verve dans la composition. Un soir, près d’entrer à l’Opéra, me sentant tourmenté, maîtrisé par mes idées, je remets mon argent dans ma poche, je cours m’enfermer chez moi ; je me mets au lit, après avoir bien fermé mes rideaux pour empêcher le jour d’y pénétrer ; & là, me livrant à tout l’Oestre poétique & musical, je composai rapidement en sept ou huit heures la meilleure partie de mon acte. Je puis dire que mes amours pour la princesse de Ferrare (car j’étois le Tasse pour lors) & mes nobles & fiers sentimens vis-à-vis de son injuste frère, me donnèrent une nuit cent fois plus délicieuse que je ne l’aurois trouvée dans les bras de la princesse elle-même. Il ne resta le matin dans ma tête qu’une bien petite partie de ce que j’avois foit ; mais ce peu, presque effacé par la lassitude & le sommeil, ne laissoit pas de marquer encore l’énergie des morceaux dont il offroit les débris.

Pour cette fois je ne poussai pas fort loin ce travail, en ayant été détourné par d’autres affaires. Tandis que je m’attachois à la maison D[...]n, Mde. de B[...]l & Mde. de B

[rogli] e que je continuai de voir quelquefois, ne m’avoient pas oublié. M. le Comte de M

[ontaigu]