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pas dans l’abîme où je suis aujourd’hui. J’étois désolé de ma lourdise & de ne pouvoir justifier aux yeux de Mde. de B

[rogli] e ce qu’elle avoit foit en ma faveur.

Après le dîner, je m’avisai de ma ressource ordinaire. J’avois dans ma poche une épître en vers, écrite à Parisot pendant mon séjour à Lyon. Ce morceau ne manquoit pas de chaleur ; j’en mis dans la façon de le réciter & je les fis pleurer tous trois. Soit vanité, soit vérité dans mes interprétations, je crus voir que les regards de Mde. de B

[rogli] e disoient à sa mère : hé bien, maman, avois-je tort de vous dire que cet homme étoit plus foit pour dîner avec vous qu’avec vos femmes ? Jusqu’à ce moment j’avois eu le cœur un peu gros ; mais après m’être ainsi vengé je fus content. Mde. de B

[rogli] e poussant un peu trop loin le jugement avantageux qu’elle avoit port de moi, crut que j’allois faire sensation dans Paris & devenir un homme à bonnes fortunes. Pour guider mon inexpérience, elle me donna les Confessions du Comte de..... Ce livre, me dit-elle, est un Mentor dont vous aurez besoin dans le monde : vous ferez bien de le consulter quelquefois. J’ai gardé plus de vingt ans cet exemplaire avec reconnoissance pour la main dont il me venoit, mais en riant souvent de l’opinion que paroissoit avoir cette Dame de mon mérite galant. Du moment que j’eus lu cet ouvrage, je désirai d’obtenir l’amitié de l’auteur. Mon penchant m’inspiroit très bien : c’est le seul ami vrai que j’aye eu parmi les gens de lettres.*

[*Je l’ai cru si long-temps & si parfaitement, que c’est à lui que depuis mon retour à Paris je confiai le manuscrit de mes Confessions. Le défiant J.J. n’a jamais pu croire à la perfidie & à la fausseté qu’après en avoir été la victime.]