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siècle & de son espèce, & le seul peut-être depuis l’existence du genre humain qui n’eut d’autre passion que celle de la raison, ne fit cependant que marcher d’erreur en erreur dans tous ses systèmes, pour avoir voulu rendre les hommes semblables à lui, au lieu de les prendre tels qu’ils sont, & qu’ils continueront d’être. Il n’a travaillé que pour des êtres imaginaires en pensant travailler pour ses contemporains.

Tout cela vu, je me trouvai dans quelque embarras sur la forme à donner à mon ouvrage. Passer à l’auteur ses visions, c’étoit ne rien faire d’utile : les réfuter à la rigueur étoit faire une chose malhonnête, puisque le dépôt de ses manuscrits, que j’avois accepté & même demandé, m’imposoit l’obligation d’en traiter honorablement l’auteur. Je pris enfin le parti qui me parut le plus décent, le plus judicieux & le plus utile. Ce fut de donner séparément les idées de l’auteur & les miennes, & pour cela d’entrer dans ses vues, de les éclaircir, de les étendre, & de ne rien épargner pour leur faire valoir tout leur prix.

Mon ouvrage devoit donc être composé de deux parties absolument séparées ; l’une, destinée à exposer de la façon que je viens de dire les divers projets de l’auteur. Dans l’autre, qui ne devoit paroître qu’après que la premiere auroit fait son effet j’aurois porté mon jugement sur ces mêmes projets, ce qui, je l’avoue, eût pu les exposer quelquefois au sort du sonnet du misanthrope. À la tête de tout l’ouvrage devoit être une vie de l’auteur, pour laquelle j’avois ramassé d’assez bons matériaux, que je me flattois de ne pas