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m’intimidoit & rendoit le mien plus plaisant. Quand elle me présentoit une assiette, j’avançois ma fourchette pour piquer modestement un petit morceau de ce qu’elle m’offroit ; de sorte qu’elle rendoit à son laquais l’assiette qu’elle m’avoit destinée, en se tournant pour que je ne la visse pas rire. Elle ne se doutoit guère que, dans la tête de ce campagnard, il ne laissoit pas d’y avoir quelque esprit. M. de B[...]me présenta à M. de Réaumur, son ami, qui venoit dîner chez lui tous les vendredis, jours d’académie des sciences. Il lui parla de mon projet & du désir que j’avois de le soumettre à l’examen de l’académie. M. de Réaumur se chargea de la proposition, qui fut agréée. Le jour donné, je fus introduit & présenté par M. de Réaumur ; & le même jour, 22 août 1742, j’eus l’honneur de lire à l’académie le mémoire que j’avois préparé pour cela. Quoique cette illustre assemblée fût assurément très imposante, j’y fus bien moins intimidé que devant Mde. de B[...]& je me tirai passablement de mes lectures & de mes réponses. Le mémoire réussit & m’attira des compliments, qui me surprirent autant qu’ils me flattèrent, imaginant à peine que devant une Académie quiconque n’en étoit pas pût avoir le sens commun. Les commissaires qu’on me donna furent Mrs. de Mairan, Hellot & de Fouchy. Tous trois gens de mérite assurément, mais dont pas un ne savoit la musique, assez du moins pour être en état de juger de mon projet.

Durant mes conférences avec ces Messieurs, je me convainquis, avec autant de certitude que de surprise, que si quelquefois les savans ont moins de préjugés que les autres hommes,