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inquiet & distroit, je jette à la hâte sur le papier quelques mots interrompus qu’à peine j’ai le tems de relire, encore moins de corriger. Je sais que, malgré les barrières immenses qu’on entasse sans cesse autour de moi, l’on craint toujours que la vérité ne s’échappe par quelque fissure. Comment m’y prendre pour la faire percer ? Je le tente avec peu d’espoir de succès. Qu’on juge si c’est là de quoi faire des tableaux agréables & leur donner un coloris bien attrayant ! J’avertis donc ceux qui voudront commencer cette lecture, que rien, en la poursuivant, ne peut les garantir de l’ennui, si ce n’est le désir d’achever de connoître un homme & l’amour sincère de la justice & de la vérité.

Je me suis laissé, dans ma premiere partie, partant à regret pour Paris, déposant mon cœur aux Charmettes, y fondant mon dernier château en Espagne, projetant d’y rapporter un jour aux pieds de maman, rendue à elle-même, les trésors que j’aurois acquis & comptant sur mon système de musique comme sur une fortune assurée.

Je m’arrêtai quelque tems à Lyon pour y voir mes connaissances, pour m’y procurer quelques recommandations pour Paris & pour vendre mes livres de géométrie, que j’avois apportés avec moi. Tout le monde m’y fit accueil. M. & Mde. de Mably marquèrent du plaisir à me revoir & me donnèrent à dîner plusieurs fois. Je fis chez eux connoissance avec l’abbé de Mably, comme je l’avois déjà faite avec l’abbé de Condillac, qui tous deux étoient venus voir leur frère. L’abbé de Mably me donna des lettres pour Paris, entre autres une pour M. de Fontenelle & une