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de les transcrire à la suite du recueil, trop volumineux pour que je puisse espérer de les soustraire à la vigilance de mes Argus, je les transcrirai dans cet écrit même, lorsqu’elles me paraîtront fournir quelque éclaircissement, soit à mon avantage, soit à ma charge : car je n’ai pas peur que le lecteur oublie jamais que je fois mes confessions pour croire que je fois mon apologie ; mais il ne doit pas s’attendre non plus que je taise la vérité lorsqu’elle parle en ma faveur.

Au reste cette seconde partie n’a que cette même vérité de commune avec la première, ni d’avantage sur elle que par l’importance des choses. À cela près, elle ne peut que lui être inférieure en tout. J’écrivois la premiere avec plaisir, avec complaisance, à mon aise, à Wootton ou dans le château de Trye ; tous les souvenirs que j’avois à me rappeller étoient autant de nouvelles jouissances. J’y revenois sans cesse avec un nouveau plaisir & je pouvois tourner mes descriptions sans gêne jusqu’à ce que j’en fusse content.

Aujourd’hui ma mémoire & ma tête affaiblies me rendent presque incapable de tout travail ; je ne m’occupe de celui-ci que par force & le cœur serré de détresse. Il ne m’offre que malheurs, trahisons, perfidies, que souvenirs attristans & déchirants. Je voudrois pour tout au monde pouvoir ensevelir dans la nuit des tems ce que j’ai à dire ; & forcé de parler malgré moi, je suis réduit encore à me cacher, à ruser, à tâcher de donner le change, à m’avilir aux choses pour lesquelles j’étois le moins né. Les planchers sous lesquels je suis ont des yeux, les murs qui m’entourent ont des oreilles : environné d’espions & de surveillans malveillans & vigilants,