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ne sont point dignes de remplir le cour de l’homme & qui ne contribuent pas à le rendre meilleur ; une douce & précieuse ignorance, trésor d’une ame pure & contente de soi qui met toute sa félicité à se replier sur elle-même, à se rendre témoignage


leurs vertus ou rectifier leurs mauvais penchans ; supposition qui se réfute si bien d’elle-même, que je me crois parfaitement dispensé de l’attaquer.

Par une suite de ces mêmes principes on nous assure que la philosophie de l’ame, qui conduit à la véritable gloire, ne s’apprend point dans les Livres, & qu’enfin il n’y a de Livres nécessaires que ceux de la religion.

Ce systême pourroit peut-être éblouir s’il étoit neuf ; mais comme c’est précisément celui du Calife qui brûla la Bibliotheque d’Alexandrie, & qu’il est demeuré depuis sans Sectateurs, il y a lieu de douter qu’il ait aujourd’hui une meilleure fortune : que notre adversaire me permette seulement de lui demander comment s’apprend donc cette philosophie dont il parle : seroit-ce par instinct ou bien par une inspiration surnaturelle ? il le faut bien, selon lui : car si on pou voit l’acquérir par la voie de l’exemple, de l’instruction, de la réflexion ou de la comparaison, je ne vois pas pourquoi la communication de toutes ces choses ne pourroit pas se faire par les Livres, & pourquoi les connoissances & les principes qu’un homme transmet à un autre en présence & de vive voix, ne pourraient pas être confiés à l’écriture.

On dit ailleurs que la plupart de nos travaux sont aussi ridicules que ceux d’un homme qui bien sur de suivre la ligne d’à-plomb voudroit mener un puits jusqu’au centre de la terre ; que répondre à cela ? Irai-je combiner les divers degrés de possibilité ou d’impossibilité des deux termes de cette comparaison ? mais quand je l’aurai fait, on me répondra par une comparaison nouvelle ; & ce sera toujours à recommencer ; car en fait de raisonnement on peut voir la fin d’une question ; mais la source des comparaisons est intarissable, & même plus elles sont absurdes, plus il est difficile d’y répondre : c’est ainsi que cet homme que l’on avoit appellé Porte d’enfer, étoit très-embarrassé à se justifier ; car comment prouver qu’on n’est pas porte d’enfer ?

J’ai appellé l’ignorance un état de crainte & de besoin, & j’ai prétendu que dans cet état il n’y avoit point de disposition plus raisonnable que celle de vouloir tout connoître : on n’a point fait d’attention au mot besoin qui étoit sans doute le meilleur appui de mon raisonnement, & on a cherché à se