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& ce n’étoit en effet qu’à force de s’égarer qu’on pouvoit trouver le vrai chemin : sans doute un grand nombre d’opinions anciennes sont abandonnées, c’est la preuve même de nos progrès ; mais l’histoire des naufrages seroit-elle inutile à la navigation ? Ne méprisons pas l’histoire de nos erreurs, marquons tous les écueils où ont échoué nos peres pour apprendre à les éviter ; leurs méprises mêmes nous enseignent le prix de la science, qui veut être achetée par tant de travaux : gardons-nous sur-tout de juger ce que nous ne savons pas par le peu que nous savons ; ce qui ne semble que curieux, peut devenir utile ; ce qui ne paroît qu’une terre grossiere au premier coup d’œil, cache quelquefois l’or le plus pur. N’allons pas nous infatuer de notre siecle, comme l’ont fait sottement tant de générations, & juger d’avance sur nos petits succès les siecles innombrables qui germent dans le sein de la Nature ; en conséquence de. l’inutilité de la philosophie Péripatéticienne pendant une si longue suite d’années, n’auroit-on pas pu se croire fondé à condamner l’étude de la Physique ? Il est pourtant vrai qu’on se seroit trompé ; l’erreur est la compagne inséparable de l’ignorance, & elle n’est chez les Philosophes que par hasard & pour un tems ; la philosophie trouve dans ses principes de quoi s’en guérir, tandis que l’ignorance est par sa nature même éternellement incurable.*


[* Que l’on s’écrie que les sciences entre les mains des hommes sont des armes données à des furieux ; qu’il vaut mieux rassembler à une brebis qu’il un mauvais Ange ; qu’on aime mieux voir les hommes brouter l’herbe dans les champs que s’entre-dévorer dans les villes : ces antithèses, ces comparaisons éloquentes, prouveront tout au plus la persuasion de l’Auteur, & nullement la question même : passer rapidement d’un extrême à l’autre,