Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t15.djvu/30

Cette page n’a pas encore été corrigée

D’où naît l’horreur que nous en avons ? est-ce foiblesse ou préjugé ? Il est pourtant difficile de ne pas convenir que ces gens-là ont des mœurs plus dépravées que les nôtres.

On croit faire illusion en avançant que l’ignorance est l’état naturel de l’homme : oui, à-peu-près comme il lui est naturel de marcher à quatre pieds, parce que les enfans ne peuvent d’abord se soutenir sur leurs jambes : l’ignorance est le premier état de l’homme, mais c’est pour en sortir par l’accroissement de ses connoissances, comme il doit s’affranchir des foiblesses de l’enfance, par les progrès de ses forces : l’ame nous est donnée aussi foible que le corps ; c’est à nous à fortifier l’un & l’autre par les exercices qui leur sont propres. Un juste équilibre est difficile à observer entre ces deux êtres dont nous sommes composés ; mais si les hommes qui ne veulent être que savants, ne parviennent pas toujours à être sages, ceux qui ne veulent être que robustes ne peuvent gueres avoir que des vertus bien foibles.

On m’opposera sans doute des actes & des notions d’humanité, de bonne foi & de justice chez les peuples les plus barbares, & j’en conviendrai sans peine ; l’homme ne sauroit être tout méchant, parce que ce seroit tendre directement à sa destruction, & que le plus foible rayon de raison suffit pour l’en empêcher : les brigands mêmes ne sont point & ne peuvent être absolument sans foi & sans équité ; au sein de la barbarie on trouve des peuples d’un caractere plus doux ; les climats, les terreins, quelques circonstances singulieres jettent des variétés dans les tempéramens & dans les inclinations ; il y a des vertus d’instinct, dont la semence ne peut être entièrement