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encore la douceur de consacrer à l’immortalité un nom & des qualités que l’amour parfait voudroit pouvoir toujours déifier.

Une passion extraordinaire & funeste entre deux êtres rares (Abailard & Héloïse) n’avoir pas cessé d’être présente dans la mémoire des hommes. L’excès de la passion des deux parts la foiblesse de l’amante, les vertus des deux amans, leurs malheurs enfin mettoient plus d’une conformité entre les deux événemens. La Julie de Jean-Jaques fut aussi-tôt une autre. Héloïse : quant à lui, il se produisit sur la scene sous le nom de Saint-Preux.

Il faut l’avouer ; Rousseau, mieux qu’Abailard, méritoit de trouver une Héloïse ; & quelle Héloïse que celle que cet homme passionné nous a peinte ! L’imagination même ne sauroit offrir un plus beau tableau de tendresse & de perfections : tout, jusqu’à la faute de cette femme, y met les derniers traits. Un amour comme celui de Julie ne peut certes qu’atténuer infiniment le blâme dû à sa foiblesse, parce qu’à la vue des grande passions, qui sont plus rares qu’on ne croit, la morale devient d’autant plus indulgente, que la nature se montre moins coupable. En outre, la conduite qui a suivi la faute de Julie donne à cette faute, si on l’ose dire, une sorte de pureté qui rend par un second effet, cette erreur des sens bien dangereusement intéressante. Voilà aussi ce qui a fait dire à cet homme de bonne soi, en prémunissant contre la lecture de son livre, qu’un jeune cœur étoit perdu, si, malgré ses avis, il cédoit à la curiosité ou à l’attrait de cette lecture après l’avoir une fois commencée. Il ne se trompoit pas ; mais en même tems ne risquoit-il pas trop, en donnant la tentation avec la leçon, sur-tout dans