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sacre’s ? Car j’appelle sacré ce qui est la base de la foi & de la paix de la société, le principe de l’industrie & de l’émulation : tous les droits étant égaux, les concurrences devoient être sans fin : lorsque la loi du plus fort étoit la seule, & avant qu’il y en eût d’autre pour fixer les propriétés acquises par le travail & l’industrie, & nécessaires à chacun pour sa subsistance, le droit de premier occupant & celui de bienséance devoient être dans une guerre perpétuelle : la force & la crainte décidoient tout un meilleur terrein, une exposition plus agréable, une femme armoient sans cesse de nouveaux prétendans : l’habitant de la montagne aride, le possesseur des vallées fertiles soient ennemis nés : le détail des sujets de divisions ne finiroit pas : les passions n’avoient qu’un petit nombre d’objets & n’en avoient que plus de vivacité : la pauvreté & le besoin desirent plus fortement que la cupidité & l’abondance jamais un boisseau d’or n’a pu exciter autant de desirs qu’un boisseau de glands en de certaines circonstances.

Quelle que fût l’autorité paternelle & celle de la vieillesse, ces liens d’une dépendance volontaire durent bientôt s’affoiblir en s’étendant & en se multipliant ; il ne fallut qu’un seul homme plus robuste ou d’une imagination. plus forte pour détruire cette félicité fragile ; les premieres histoires parlent sans cesse de géants qui n’avoient pas d’autre profession que le brigandage ; dans cette égalité & cette liberté sauvage où tous sont centre un & un seul contre tous, les contre-coups d’une premiere violence ont dû se multiplier à l’infini ; plus vous supposez l’homme indépendant & isolé, plus vous livrez le foible au fort & le vertueux au méchant.