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que vous auriez été non-seulement excommunié avec les chenilles, les sauterelles & les sorciers, mais brûlé ou pendu, ainsi que quantité d’honnêtes gens qui cultivent aujourd’hui les Lettres en paix, & avouez que le tans présent vaut mieux. C’est à la Philosophie que vous devez votre salut, & vous l’assassinez : mettez-vous à genoux, ingrat, & pleurez sur votre folie. Nous ne sommes plus esclaves de ces tyrans spirituels & temporels qui désoloient toute l’Europe ; la vie est plus douce, les mœurs plus humaines, & les Etats plus tranquilles.

Vous parlez, docteur Pansophe, de la vertu des Sauvages : il me semble pourtant qu’ils sont magis extrà vicia quàm cum virtutibus. Leur vertu est négative, elle consiste a n’avoir ni bons cuisiniers, ni bons musiciens, ni beaux meubles, ni luxe, &c. La vertu, voyez-vous suppose des lumieres, des réflexions, de la Philosophie, quoique, selon vous, tout homme qui réfléchit soit un animal dépravé ; d’où il s’ensuivroit en bonne logique que la vertu est impossible. Un ignorant, un sot complet, n’est pas plus susceptible de vertu qu’un cheval ou qu’un singe ; vous n’avez certes jamais vu cheval vertueux, ni singe vertueux. Quoique maître Aliboron tienne que votre prose est une prose brûlante, le public se plaint que vous n’avez jamais fait un bon syllogisme. Ecoutez, docteur Pansophe ; la bonne Xantippe grondoit sans cesse, & vigoureusement contre la philosophie & la raison de Socrate ; mais la bonne Xantippe étoit une folle, comme tout le monde fait. Corrigez-vous.

Illustre Pansophe ! La rage de blâmer vos contemporains vous fait louer à leurs dépens des Sauvages anciens & modernes