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ne vous rendent désagréable aux yeux de l’Être Suprême, comme vous l’êtes déjà aux yeux des hommes ?

Vos Lettres de la Montagne sont pleines de fiel ; cela n’est pas bien, Jean-Jaques. Si votre Patrie vous a proscrit injustement, il ne faut pas la maudire ni la troubler. Vous avez certes raison de dire que vous n’êtes point philosophe. Le sage philosophe Socrate but la ciguë en silence : il ne fit pas de libelles contre l’aréopage ni même contre le prêtre Anitus, son ennemi déclaré ; sa bouche vertueuse ne se souilla pas par des imprécations : il mourut avec toute sa gloire & sa patience ; mais vous n’êtes pas un Socrate ni un philosophe.

Docteur Pansophe, permettez qu’on vous donne ici trois leçons, que la Philosophie vous auroit apprises : une leçon de bonne foi, une leçon de bon sens, & une leçon de modestie.

Pourquoi dites-vous que le bon homme si mal nomme Grégoire le Grand, quoiqu’il soit un saint, étoit un Pape, illustre, parce qu’il étoit bête & intrigant ? J’ai vu constamment dans l’histoire, que la bêtise & l’ignorance n’ont jamais fait de bien, mais au contraire toujours beaucoup de mal. Grégoire même bénit & loua les crimes de Phocas, qui avoit assassiné & détrôné son maître, l’infortuné Maurice. Il bénit & loua les crimes de Brunehaut, qui est la honte de l’histoire de France. Si les arts & les sciences n’ont pas absolument rendu les hommes meilleurs ; du moins ils sont méchans avec plus de discrétion ; & quand ils sont le mal, ils cherchent des prétextes, ils temporisent, ils se contiennent ; on peut les prévenir, & les grands crimes sont rares. Il y a dix siecles