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jusques aux tems de sa premiere condition, & le voir passer de la boutique d’un horloger dans le temple des Muses. Le voir voyager tantôt bien & le plus souvent mal à son aise, exposé à des chagrins & à des revers qui n’affermissent pas l’esprit humain. Ne voit-on pas tous les jours que de grandes tribulations, de même que les excès de joie & de tristesse, ou quelquefois une frayeur excessive peuvent selon la foiblesse du tempérament de ceux qui y sont exposés, opérer le bouleversement des sens, & frapper les fibres du cerveau jusqu’au point que l’ame & le cœur peuvent en être troublés, qu’ils peuvent, attaquer les nerfs, ralentir ou précipiter la circulation du sang, & enfin priver du plus au moins la réflexion & le discernement de leurs fonctions ordinaires. On remarque qu’autant d’hommes affligés de cette maladie, autant de maladies différentes dont la plupart sont incurables.

N’est-il pas des fous que l’on est obligé d’enchaîner & de garotter ; d’autres plus dociles, mais sujets de tems à autres à des transports frénétiques qui exigent les mêmes précautions d’autres qui, à la vue du public, pensent, parlent & agissent comme le reste du gros des hommes, & dont les égaremens d’esprit ne paroissent qu’aux yeux de ceux avec lesquels ils vivent ; d’autres dont la folie semble être attachée aux phases de la lune, & dont la maladie est couverte par les différentes interprétations que l’on fait de leurs passions & de leur conduite.

Combien de fois ne prend on pas pour un défaut du cœur ou du sentiment ce qui, dans le fond, n’est qu’une altération pu foiblesse de l’esprit humain ?