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à connoître les hommes, à savoir les prendre par leurs vertus & même par leurs foibles pour les amener à son but, & à choisir toujours le meilleur parti dans les occasions difficiles. Cela dépend en partie de la maniere dont on l’exercera à considérer les objets & à les retourner de toutes leurs faces, & en partie de l’usage du monde. Quant au premier point, vous y pouvez contribuer beaucoup, Monsieur, & avec un très-grand succès, en feignant quelquefois de le consulter sur la maniere dont vous devez vous conduire dans des incidens d’invention ; cela flattera sa vanité, & il ne regardera point comme un travail le tems qu’on mettra à délibérer sur une affaire où sa voix sera comptée pour quelque chose. C’est dans de telles conversations qu’on peut lui donner le plus de lumieres sur la science du monde, & il apprendra plus dans deux heures de tems par ce moyen, qu’il ne seroit en un an par des instructions en regle ; mais il faut observer de ne lui présenter que des matieres proportionnées à son âge, & surtout l’exercer long-tems sur des sujets où le meilleur parti se présente aisément ; tant afin de l’amener facilement à le trouver comme de lui-même, que pour éviter de lui faire envisager les affaires de la vie, comme une suite de problêmes où les divers partis paroissant également probables, il seroit presque indifférent de se déterminer plutôt pour l’un que pour l’autre, ce qui le meneroit à l’indolence dans le raisonnement & à l’indifférence dans la conduite.

L’usage du monde est aussi d’une nécessité absolue & d’autant plus pour M. de Ste. Marie que, né timide, il a besoin de voir souvent compagnie pour apprendre à s’y trouver en