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consentit à me les céder, à condition que pendant sa vie je ne publierois point les notes que je pourrois trouver sur les livres qu’il me vendoit, & que, lui vivant, l’exemplaire du livre de l’Esprit ne sortiroit point de mes mains. Il paroît qu’il avoit entrepris de réfuter cet ouvrage de M. Helvétius, mais qu’il avoit abandonné cette idée dès qu’il l’avoit vu persécuté. M. Helvétius ayant appris que j’étois en possession de cet exemplaire, me fit proposer par le célèbre M. Hume & quelques autres amis, de le lui envoyer ; j’étois lié par ma promesse, je le représentai à M. Helvétius ; il approuva ma délicatesse, & se réduisit à me prier de lui extraire quelques-unes des remarques qui portoient le plus coup contre ses principes, & de les lui communiquer ; ce que je fis. Il fut tellement alarmé du danger que couroit un édifice qu’il avoit pris tant de plaisir à élever, qu’il me répondit sur le champ, afin d’effacer les impressions qu’il ne doutoit pas que ces notes n’eussent fait sur mon esprit. Il m’annonçoit une autre lettre

par le courier suivant, mais la mort l’enleva huit ou dix jours après sa seconde lettre.

Les remarques dont il s’agit sont en petit nombre, mais suffisantes pour détruire les principes sur lesquels M. Helvétius établit un systême que j’ai toujours regardé comme pernicieux à la société. Elles décèlent cette pénétration profonde, ce coup-d’œil vif & lumineux, si propres à leur auteur. Vous en jugerez, Monsieur, par l’exposé que je vais vous en mettre sous les yeux,

Le grand but de M. Helvétius, dans son ouvrage, est de réduire toutes les facultés de l’homme à une existence purement