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qui a si heureusement cultivé les Belles-Lettres, montre combien elles sont estimables, par la maniere dont il exprime le mépris qu’il paroît en faire : je dis, qu’il paroît ; parce qu’il n’est pas vraisemblable qu’il fasse peu de cas de ses connoissances. Dans tous les tems on a vu des Auteurs décrier leurs siecle & louer à l’excès des Nations anciennes. On met une sorte de gloire à se roidir contre les idées communes ; de supériorité, à blâmer ce qui est loué ; de grandeur, à dégrader ce que les hommes estiment le plus.

La meilleure maniere de décider la question de fait dont il s’agit, est d’examiner l’état actuel des mœurs de toutes les Nations. Or il résulte de cet examen fait impartialement, que les peuples policés & distingués par la culture des Lettres & des Sciences, ont en général moins de vices que ceux qui ne le sont pas. Dans la Barbarie & dans la plupart des pays Orientaux régnent des vices qu’il ne conviendroit pas même de nommer. Si vous parcourez les divers états d’Afrique, vous êtes étonné de voir tant de peuples fainéans, lâches, fourbes, traîtres, avares, cruels, voleurs & débauchés. Là, sont établis des usages inhumains ; ici, l’impudicité est autorisée par les loix. Là, le brigandage & le meurtre sont érigés en professions ; ici, on est tellement barbare, qu’on se nourrit de chair humaine. Dans plusieurs Royaumes les maris vendent leurs femmes & leurs enfans ; en d’autres on sacrifie des hommes au Démon : on tue quelques personnes pour faire honneur au Roi, lorsqu’il paroît en public, ou qu’il vient à mourir. L’Asie & l’Amérique offrent des tableaux semblables.*

[*Les bornes étroites que je me suis prescrites, m’obligent à renvoyer à l’Histoire des voyages, & à l’Histoire Générale par M. l’Abbé Lambert (Idem.)]