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mensonge, & de plus que celui-là et bien plus aisé à vérifier.

Quant aux autres changemens, je vous dirai là-dessus, Madame, ce que Socrate répondit autrefois à un certain Lisias. Ce Lisias étoit le plus habile orateur de son tems, & dans l’accusation où Socrate fut condamné, il lui apporta un discours qu’il avoit travaillé avec grand soin, où il mettoit ses raisons & les moyens de Socrate dans tout leur jour ; Socrate le lut avec plaisir & le trouva fort bien fait ; mais il lui dit franchement qu’il ne lui étoit pas propre. Sur quoi Lisias lui ayant demandé comment il étoit possible que ce discours fût bien fait s’il ne lui étoit pas propre, de même, dit-il, en se servant selon sa coutume de comparaisons vulgaires, qu’u excellent ouvrier pourroit m’apporter des habits ou des souliers magnifiques, brodés d’or, & auxquels il ne manqueroit rien, mais qui ne me conviendroient pas. Pour moi, plus docile que Socrate, j’ai laissé le tout comme vous avez jugé à propos de le changer, excepté deux ou trois expressions de style seulement qui m’ont paru s’être glissées par mégarde.

J’ai été plus hardi à la fin. Je ne sais quelles pouvoient être vos vues en faisant passer la pension par les mains de Son Excellence, mais l’inconvénient en saute aux yeux : car il est clair que si j’avois le malheur par quelque accident imprévu de lui survivre ou qu’il tombât malade, adieu la pension. En coûtera-t-il de plus pour l’établir le plus solidement qu’on pourra. C’est chercher des détours qui vous égarent pendant qu’il n’y a aucun inconvénient à suivre le droit chemin. Si ma fidélité étoit équivoque &, qu’on pût me soupçonner d’être homme à détourner cet argent ou à en faire un mauvais usage,