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commerce avec elles, comme si elles n’avoient pas une raison à cultiver, ou n’en étoient pas dignes ; enfin l’éducation funeste, je dirois presque meurtriere, que nous leur prescrivons, sans leur permettre d’en avoir d’autre ; éducation où elles apprennent presque uniquement à se contrefaire sans cessé, à n’avoir pas un sentiment qu’elles n’étouffent, une opinion qu’elles ne cachent, une pensée qu’elles ne déguisent. Nous traitons la nature en elles comme nous la traitons dans nos jardins, nous cherchons à l’orner en l’étouffant. Si la plupart des nations ont agi comme nous à leur égard, c’est que par-tout les hommes ont été les plus forts, & que par-tout le plus fort est l’oppresseur & le tyran du plus foible. Je ne sais si je me trompé, mais il me semble que l’éloignement où nous tenons les femmes de tout ce qui peut les éclairer & leur élever l’ame, est bien capable, en mettant leur vanité à la gêne, de flatter leur amour-propre. On diroit que nous sentons leurs avantages, & que nous voulons les empêcher d’en profiter. Nous ne pouvons nous dissimuler dans les ouvrages de goût & d’agrément, elles réussiroient mieux que nous, sur-tout dans ceux dont le sentiment & le tendresse doivent être l’âme ; car quand vous dites qu’elles ne savent ni décrire, ni sentir l’amour même, il faut que, vous n’avez jamais lu les lettres d’Héloise, ou que vous ne les ayez lues que dans quelque poete qui les aura gâtées. J’avoue que ce talent de peindre l’amour au naturel, talent propre à un tems d’ignorance, où la nature seule donnoit des leçons, peut s’être affoibli dans notre siecle, & que les femmes, devenues à notre exemple plus coquettes que passionnées, sauront bientôt